L’impression tridimensionnelle
Après la mécanisation du XIXe siècle et l’émergence de la production à la chaîne au XXe siècle, l’impression 3D semble démarrer une nouvelle révolution industrielle pour prendre sa place dans un monde où le consommateur est de plus en plus exigeant. Avec des procédés plutôt optimisés pour fabriquer des pièces identiques en large volumes et réaliser des économies d’échelle, les industriels ne sont pas en mesure de garantir un service plus rapide, la possibilité de personnaliser le produit, ou une livraison éclair, services économiquement peu rentables avec les techniques de fabrication traditionnels.
La possibilité de produire une large gamme de pro-duits et l’ultra-personnalisation sont deux atouts non négligeables de cette nouvelle technologie. Bien qu’encore coûteuse, les analystes (Canalys) prévoient une évolution de près de 14 milliards de dollars entre 2013 et 2018 pour le marché mondial de l’impression 3D. L’introduction de cette nouvelle technique dans le domaine public change considérablement nos habitudes de consommation, nous rapprochant vers un mon-de de cocréateurs.
Toutefois, certains obstacles freinent encore sa croissance, le boom tant attendu de l’impression 3D n’est pas pour aujourd’hui. Dans cette nouvelle newsletter nous traiterons l’impact de l’impression 3D sur les industries traditionnelles et les obstacles à la croissance du secteur public.
C’est à la fin des années 1980 que l’impression tridimensionnelle est introduite pour la première fois dans l’indus-trie nord-américaine pour le prototypage rapide. Charles Hull et Scott Crump sont à l’origine de la stéréo-lithographie ou SLA (Sterelithography Apparatus) et le « modelage par dépôt de filament en fusion » ou FDM (Fused Deposition Modeling) deux techniques brevetées. Ces deux pionniers sont aussi les fondateurs respectifs des lea-ders mondiaux du secteur, 3D Systems Corp. et Stratasys.
Loin d’être les seules méthodes d’impression 3D ce sont néanmoins les plus utilisées et les plus présentes dans le monde. Malgré les différentes techniques existantes, le principe reste toujours le même, la superposition de couches de matières avec une imprimante 3D selon les coordonnées transmises par un fichier 3D, préalablement conçu à l’aide d’un logiciel spécialisé en modelage en 3 dimensions.
Marché apparemment prometteur, il faut cependant observer son évolution avec recul, décryptons cette industrie naissante, secteur de rupture des éléments fondamentaux de la chaîne de valeur manufacturière.
Comment ça marche ?
Tout comme l’impression d’un texte, l’objectif de l’impression 3D est de transformer un fichier immatériel en objet réel. Partant d’une idée,
nous pouvons réaliser une maquette virtuelle sur un logiciel de Conception assistée par ordinateur (CAO). Ensuite, avec le consommable désiré (filament, poudre…), le fichier 3D (en format .stl, .wrl, .ply, .3ds ou .zpr) et à l’aide d’un deuxième logiciel spécialisé d’impression 3D qui découpera l’objet en tranches sur son ordinateur, l’information peut être transmise à l’imprimante.
Les principales techniques d’impression sont le FDM (Impression par dépôt de matière), l’impression par Stéréo-lithographie ou SLA (photo-polymérisation) et le frittage par laser ou SLS (Selective Laser Sintering). D’autres techniques d’impression existent aujourd’hui, de nombreuses adaptations ou combinaisons de ces procédés continuent d’émerger, et les innovations continuent de se multiplier.
Il existe près de 200 matériaux pouvant être utilisés, selon les techniques d’impression et surtout selon la fonction à laquelle l’objet sera destiné. De la poudre de verre aux matières organiques pour le tissu vivant, les intrants pour impression 3D peuvent servir dans différents domaines.
Quelques exemples :
- la poudre de polyamide, la céramique ou l’alumine pour le frittage laser,
- la résine liquide ou la cire calcinable pour le SLA,
- les poudres de métaux (acier inoxydable, titane, etc) pour le FDM.
Certains matériaux comme le titane sont une niche grâce à l’impression 3D. Léger, plus dense que l’acier et mieux résistant à la corrosion, c’est toutefois un métal difficile à travailler et les risques de contamination lors des soudures sont assez élevés, imposant des conditions de travail strictes. L’impression 3D est ici la solution idéale aux coûts de production, supprimant les contraintes dans le traitement de ce métal. La poudre de titane semble devenir un matériau à fort potentiel lucratif.
Il est désormais aussi possible d’imprimer des aliments, des bijoux en matériaux précieux, des prothèses, des implants ou des médicaments. La société Organovo crée des tissus humains (une veine en 2010 et un foie en 2014), Contour Crafting des maisons et abris et Choc Edge des chocolats…
Transformation d’un mode de consommation, évolution de la production. Quel impact pour les industries traditionnelles ?
Aujourd’hui, la recherche et l’avancée technologique permettent à l’être humain de maîtriser les besoins vitaux. Comme dans les films de science fiction de l’ampleur de « Soylent Green » ou « 2001 : L’Odyssée de l’espace », nous nous rapprochons de plus en plus de ces scénarios où la terre devient surpeuplée et les ressources se raréfient.
L’impression 3D est sans aucun doute une révolution technologique, mais son introduction dans notre vie quotidienne provoquera aussi une révolution industrielle. Les industries manufacturières traditionnelles n’auront le choix que de transformer leurs moyens de production, évoluer et s’adapter à une nouvelle société de consommation, où la production devient plus accessible et moins chère. L’impression 3D est pour l’instant utilisée notamment pour le prototypage et la production de petites séries, essentiellement dans 4 domaines clés : la défense, l’aérospatial, l’automobile et la santé. Plusieurs conséquences peuvent être préconisées.
Certains industriels se sont déjà adaptés et leur relation avec le consommateur est de plus en plus étroite. L’américain Autodesk a mis au point des produits grand public afin de permettre à ses clients de modifier à volonté les designs produits pour les imprimer par la suite, comme le 123D Catch, logiciel qui propose de transformer des photos en objets 3D. Dassault Systèmes s’est diversifié dans la vente de logiciels de conception 3D par ordinateur.
Mais des secteurs naissent aussi en parallèle de cette nouvelle technologie, une chaîne de valeur qui intègre des outils de scannage 3D (digitalise un objet pour le reproduire avec une imprimante) et de modélisation low-costs ou gratuits utilisés pour le design, des sites de partages des créations, d’investissement collaboratif (crowdfunding), d’ « open design » et « open source ».
Le vent commence à tourner pour les géants de l’industrie, le secteur de la production s’intègre dans le secteur des services, les consommateurs se préoccupent de la production. A travers l’imprimante 3D, toute la chaîne de production et de logistique est remise en cause. Nous passons directement d’une idée ou design à sa création, en oubliant les phases du prototype, de la fabrication, de l’assemblage, de la distribution, du stockage, de la vente et du transport.
Obstacles à la croissance du marché grand public
Bien que prometteur, ce marché présente encore quelques entraves à son développement. Son évolution est rapide car il s’agit d’un secteur naissant en plein essor mais il est difficile de déterminer son impact à moyen terme.
- Le coût de ces imprimantes et des matériaux pouvant être utilisés reste encore élevé. Il faut encore compter plusieurs millions de dollars pour une imprimante 3D fournissant une précision adéquate pour l’utilisation industrielle. Les objets fabriqués avec les imprimantes tridimensionnelles plus accessibles sont généralement moins résistants que leurs équivalents moulés, dû à la faiblesse structurelle dans la troisième dimension (verticale), un inconvénient de l’impression par couche successive.
- La qualité de la surface du produit imprimé est généralement plus faible, nécessitant le traitement d’après impression (polissage, nettoyage, etc.), ce qui requiert du temps. Certaines techniques dégagent des vapeurs toxiques lors de la fusion de résines et poudres, pouvant entraîner des pollutions locales, les autorités de la santé des pays développés imposent donc des standards contraignants.
- Le temps que l’imprimante prend pour fabriquer une pièce dépend de la taille de cette dernière. Si une entreprises du secteur aéronautique souhaite imprimer une « macro-pièce » cela peut durer des heures voire des jours. Une durée acceptable pour un prototypage, produire en petite série ou une pièce unique à réutilisation, mais c’est encore beaucoup trop coûteux pour la production de masse, supprimant tout espoir de bénéficier d’économies d’échelle.
- L’aspect légal est à prendre en considération, car la possibilité de créer n’importe quel objet chez soi implique des questions de propriété intellectuelle. Mais il faut aller plus loin, la question de la responsabilité est également à souligner. A qui la faute lorsqu’un accident arrive avec un objet imprimé ? Qui est responsable ? Un flou juridique qui ne clarifie pas si c’est la société ayant vendu le fichier 3D, l’imprimeur ou le fournisseur de l’imprimante. Connaître la réglementation en France et à l’étranger n’est pas négligeable pour les entreprises du secteur, d’autant qu’il est difficile d’imaginer l’application des protocoles industriels aux sites de production privés.
- Enfin, une solution doit être trouvée concernant la destruction d’emplois qui sera certaine. Si les ingénieurs et designers ont du pain sur la planche, ce n’est pas la même histoire pour les ouvriers du BTP, les employés d’usines manufacturières ou de l’industrie lourde. Envisager la formation du personnel en matière d’impression tridimensionnelle éviterait une perte lourde de personnel et favoriserait l’image des entreprises souhaitant évoluer vers des techniques de production plus modernes.
Lié au numérique, le potentiel de ce marché est apparent, les Etats-Unis sont déjà devant avec 38 % des imprimantes 3D installées dans le monde, la France doit profiter du décollage. Selon le Conseil économique social et environnemental (CESE) le groupe parisien Gorgé rachète des entreprises du secteur, comme les deux fabricants d’imprimantes 3D français Prodways et INITIAL ou l’anglais NORGE Systems, première société à proposer des imprimantes low-cost. Il existe également BeAM, une start-up alsacienne commercialisant des systèmes d’impression 3D par dépôt de poudres métalliques ou Sculpteo, plutôt positionnée dans les services d’impression 3D en ligne, accessibles au grand public et aux professionnels. A Toulouse, Cadvision, un des leaders français de la vente d’imprimantes 3D pour les professionnels vient d’ouvrir une agence. Investir en formations, innovation et en Recherche et Développement semble être une solution durable, selon le CESE.
Dans un futur proche, il est possible que les grands industriels du milieu traditionnel manufacturier éprouvent un intérêt plus grand à incorporer cette nouvelle technique en raison notamment de la résolution des problèmes évoqués précédemment. La technologie avançant rapidement, il est fort probable que le grand public puisse disposer de machines bien plus sophistiquées. La vente de logiciels de conception 3D et de fichiers numériques à imprimer, pour des objets plus techniques et fonctionnels, serait une chance de se diversifier.
L’Equipe ADEC-NS
*Sources: Les Echos, Industrie & Technologies, France-science.org, Touleco.fr, citylab.com.