L’empreinte environnementale d’Internet
Internet : le mythe de la dématérialisation
Le monde d’internet, ou monde « virtuel » n’a rien d’immatériel. Il requiert en effet des infrastructures de réseaux lourdes. Envoyer un simple mail nécessite par exemple le passage de celui-ci du câble individuel de l’utilisateur vers un centre de raccordement puis vers les câbles nationaux et internationaux, ces autoroutes de l’information souterraines et sous-marines. Le mail est alors dirigé vers les hébergeurs de messagerie (dont beaucoup, comme Gmail, Hotmail ou Yahoo, sont situés aux Etats-Unis). Le mail est ensuite traité et stocké dans un data center (centre de traite-ment des données) puis réorienté, toujours à la vitesse de la lumière, vers la boîte mail du destinataire.
Des millions de kilomètres de cuivre et de fibre optique ainsi que différents data centers sont nécessaires pour réaliser ce type de transaction de base. Les réseaux et les data centers sont deux piliers importants de l’empreinte environnementale d’internet.
L’explosion du volume des données en circulation
Aujourd’hui, le volume des données en circulation double tous les 2 ans. Chaque jour, de gigantesques quantités de données sont mises en circulation : télécharger un film, vérifier ses comptes en ligne, faire ses courses sur la toile, lire un journal, poster un commentaire sur les réseaux sociaux sont autant de gestes quotidiens qui génèrent la création de données. Les chiffres sont colossaux : environ 2 millions de recherches effectuées sur Google et plus de 10 milliards de mails envoyés dans le monde par heure.
L’expansion du stockage en ligne
Le cloud, le « nuage », composé de différents cyberespaces où nous pouvons héberger nos données (photos, musiques, vidéos, documents etc) ne cesse de croître. Nous pouvons grâce à lui accéder à nos données n’importe où, depuis n’importe quel terminal connecté à internet (smartphone, ordinateur, tablette, tv etc). A l’heure actuelle, les géants de la technologie ne cherchent plus à toujours accroître les capacités de mémoire de nos ordinateurs mais poussent les utilisateurs à stocker leurs données sur le cloud. Néanmoins les données stockées dans ces cyberespaces ne sont pas dématérialisées, elles sont bien physiquement stockées dans des data centers. Les entreprises emploient également cette technique de stockage à distance (cloud computing, externalisation du stockage de leurs données par des data centers hyper-sécurisés).
Les data centers : centres névralgiques de l’économie numérique
Les data centers, ces usines du numérique, sont notamment composés de rangées de serveurs, ils traitent et stockent des milliards de données informatiques (mails, vidéos, photos, recherches etc). Ils sont l’épine dorsale de l’internet. Les géants du numérique (comme Google, Apple, Microsoft, Amazon, Facebook etc) fonctionnent grâce à différents data centers atteignant des surfaces colossales (plusieurs milliers de mètres carrés). Ces data centers se multiplient à la surface du globe pour assurer le fonctionnement du « réseau des réseaux ». Ces bâtiments d’importance stratégique bénéficient d’un niveau de sécurité maximal.
A l’heure actuelle, l’explosion de l’information numérique suscite des besoins énergétiques sans précédent.
Le coût écologique lourd d’internet
Les data centers : des centres très énergivores
Les centres de traitement des données fonctionnent jour et nuit pour transformer et recevoir l’information sans interruption et assurer la réponse immédiate aux clics des internautes. Leurs milliers de serveurs chauffent en continu et nécessitent d’importants systèmes de refroidissement, très demandeurs en énergie. Par ailleurs, des mesures de précaution sont prises pour éviter l’impensable crash numérique, qui ferait perdre des milliards de dollars instantanément. Ainsi, pour éviter toute coupure de l’alimentation électrique et toute défaillance du réseau, même très brève, leséquipements de distribution d’énergie, de dispositifs de secours (puissants générateurs), de production et de distribution du froid sont multipliés.
Dans les zones rurales de Caroline du Nord aux Etats-Unis, où sont implantés plusieurs immenses data centers des géants de l’internet (comme Amazon, Google ou Facebook), la production des centrales à charbon, en plus des centrales nucléaires, a été multipliée pour assouvir leurs besoins énergétiques. La contamination des sols et rivières s’est accrue ainsi que les émissions de CO2. Divers experts estiment d’ailleurs que les émissions de CO2 des différents data centers dans le monde vont dépasser celles du transport aérien d’ici 2018.
De manière générale, pour alimenter ces centres en constante augmentation, la course effrénée à l’énergie est lancée. En 2012, les data centers consommaient environ 30 milliards de watts, soit l’équivalent de la production de 30 centrales nucléaires. Aujourd’hui, uniquement au sein du Grand Paris, les data centers représentent le quart de l’augmentation des besoins énergétiques de la zone et ils consommeront à eux seuls, d’ici 2030, autant qu’un million d’habitants. Apparaissent de nouveaux enjeux d’investissement dans le développement des infrastructures de distribution électrique pour les métropoles qui souhaitent rester compétitives dans l’économie numérique.
Le gaspillage d’énergie dû aux mauvaises pratiques des internautes
Un autre pilier de la facture énergétique d’internet repose sur les pratiques des utilisateurs. En effet, un effort de sensibilisation doit être mis en oeuvre afin que les internautes réalisent que leurs données sont bien physiques et non virtuelles, que leur stockage et traitement nécessitent de l’énergie. Certaines bonnes pratiques à mettre en place sont répertoriées ci-après :
– Favoriser le stockage local des données et limiter le stockage dans le cloud au strict nécessaire
– Eviter le streaming
– Effacer ses anciens e-mails, limiter le nombre de mails avec pièces jointes ainsi que le nombre de destinataires, compresser les fichiers joints
– Rentrer directement l’adresse URL d’un site ou enregistrer une page dans les favoris pour ne pas mener une recherche.
– Surfer sur internet via un smartphone ou une tablette permet de consommer moins que sur ordinateur.
– Éteindre ses équipements le soir (ordinateur, box, boîtier TV et périphériques comme imprimantes, disques durs externes etc)
– Utiliser ses équipements informatiques jusqu’à qu’ils ne fonctionnent plus.
Au regard des 3 milliards d’internautes actuels, une sensibilisation sur les bonnes pratiques à appliquer pourrait avoir un impact non négligeable sur l’environnement.
Ecologie et technologie : des perspectives de complémentarité
Le développement de data centers plus écologiques
La croissance exponentielle des données à traiter et à stocker pousse les géants de l’internet à adopter des systèmes plus durables pour réduire leurs dépenses en énergie. A cela s’ajoute leur volonté de reverdir leur image suite aux divers rapports d’ONG environnementales (comme le How clean is your cloud ? de Greenpeace) dénonçant leur forte empreinte énergétique.
De nombreux géants de l’internet se sont engagés à alimenter entièrement leurs data centers par des énergies renouvelables. Ainsi, les nouveaux data centers de la société Apple (Danemark, Irlande, Arizona…) sont alimentés à 100% par énergies propres ; d’autres entreprises emboîtent le pas : comme Yahoo (à 73%), Facebook (à 49%) ou encore Google (à 46%).
Pour éviter de recourir aux systèmes de climatisation trop énergivores, de nouvelles techniques sont mises en œuvre pour le refroidissement des serveurs, comme le freecooling (utilisation de la différence de température entre l’air extérieur et l’air intérieur), ou encore le refroidissement par bain d’huile.
Des politiques publiques facilitant le développement des énergies renouvelables ainsi que les investissements des fournisseurs d’énergie sont nécessaires pour permettre ces changements et éviter l’utilisation des énergies fossiles. Le critère d’accessibilité des énergies renouvelables sera ainsi de plus en plus crucial dans les choix d’implantation de nouveaux data centers. Le futur EcoDataCenter de Falun, en Suède, en est une illustration : la chaleur générée par ses serveurs sera utilisée pour chauffer la vil-le en hiver, alors qu’en été le data center utilisera le système de chauffage urbain basé sur les énergies propres pour refroidir ses serveurs.
A plus petite échelle, des solutions innovantes se développent, comme c’est le cas à l’Université Lyon 3, où les serveurs informatiques sont immergés dans un bain d’huile récupérant la chaleur, qui est alors transférée pour chauffer le centre sportif de l’université.
L’avancée du green computing, l’informatique éco-responsable
Au-delà des infrastructures permettant le fonctionnement d’internet, ce sont tous les équipements informa-tiques qui ont vocation à devenir écoresponsables. Depuis l’extraction des ressources minérales, la fabrication des composants, la consommation des terres-rares (matériaux non renouvelables) aux produits toxiques relâchés dans l’environnement, toute la chaîne de production du matériel informatique est en train d’être repensée. Par ailleurs le matériel est de plus en plus conçu pour économiser de l’énergie et le recyclage des équipements informatiques se développe.
De nouvelles initiatives émergent pour sensibiliser le grand public ainsi que les entreprises afin de réduire leur empreinte écologiquedans leur utilisation de l’informatique (à l’instar de Green It).
« L’internet de l’énergie » : une nouvelle révolution industrielle en perspective ?
De nombreuses solutions numériques existent pour lutter contre la pollution (et sont d’ailleurs perfectionnées grâce au big data). Toutefois une perspective de changement encore plus radicale est engagée : appliquer le concept sur lequel est basé internet – celui d’un réseau collaboratif et décentralisé – au domaine de l’énergie. Ainsi chacun deviendrait fournisseur et utilisateur d’énergie, les rôles étant partagés grâce au ré-seau internet. Cette convergence entre les moyens de communication et les énergies renouvelables permettrait à l’énergie de circuler en réseau de manière intelligente et de supplanter les énergies fossiles : chaque bâtiment aurait un rôle de « mini-centrale », versant dans le réseau ses excédents de production énergétique, et y prélevant l’énergie dans les périodes où elle en manque.
Cette nouvelle révolution apparaît comme un mirage pour certains, qui promeuvent la réduction des différentes formes de consommation (y compris énergétique). Toutefois le concept développé par Jeremy Rifkin a été promu, entre autres, par le Parlement européen et certaines régions comme solution permettant de lutter à la fois contre la crise économique et la crise écologique.
Sources : documentaire « Internet, la pollution cachée » de Coline Tison et Laurent Lichstenstein, New York Times, Green It, Greenpeace, Arte, Journal du Net, le Monde, la Tribune.
L’Equipe ADEC-NS