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Cuba [NL54]

Cuba

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Raul Castro et Barack Obama, rencontre à Washington

Non, le président américain Barack Obama n’a pas encore tout à fait enterré le blocus commercial et financier imposé à Cuba par son prédécesseur Dwight Eisenhower, il y a plus de cinquante ans. Plusieurs années seront encore nécessaires pour abroger la succession des actes du Congrès imposant l’embargo sur l’île. Toutefois, c’est avec brio que Monsieur Obama a transgressé un tabou de la politique américaine, à travers une vaste gamme de mesures réglementaires créant ainsi des failles dans l’armure de l’embargo. Le monde entier a les yeux rivés sur ce processus historique dont les prémices s’avèrent presque impossibles à renverser.

A l’heure de l’accord de Lausanne sur le programme nucléaire iranien et la remise en cause de l’embargo imposé à Téhéran, les Américains ne s’accordent pas tous sur le sort de Cuba. En effet, en février 2015, à la question « Êtes-vous pour ou contre le rétablissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba ? » ; 59 % des sondés répondent favorablement, 30 % s’y opposent et 12% restent sceptiques (un sondage de Gallup). Le clivage ne s’inscrit pas sur des lignes politiques mais fait appel à des sensibilités historiques. Ainsi, le précédent président démocrate, Bill Clinton, avait été à l’origine d’un renforcement législatif de l’embargo. Pour les partisans du blocus, le fossé idéologique est toujours présent et la tyrannie du président Fidel Castro et de son successeur fraternel, Raul, ne s’est pas altérée avec le temps.

Cependant, l’étroite proximité géographique entre l’île et les États-Unis (environ 150 km), et les nombreux liens de parenté tissés par les descendants américains des exilés cubains feront émerger toutes sortes d’effets dynamiques, une fois les obstacles à la circulation des hommes, de la monnaie et des marchandises supprimés. En dépit d’un demi-siècle d’isolement, l’île a su préserver ses atouts dans de nombreux domaines tout en maintenant un niveau de développement humanitaire (santé et éducation) sans précédent.

La newsletter de cette semaine a décidé de saisir l’opportunité de l’assouplissement de l’embargo pour présenter les potentialités économiques de l’île de Cuba.

Un embargo de plus de cinquante ans

L’étymologie du mot embargo vient du verbe embargar qui signifie saisir en espagnol. Pression économique, cet acte hostile n’enfreint en soi aucune règle de droit international s’il est justifié. En l’occurrence lorsqu’il intervient comme riposte proportionnée à un acte illicite et préjudiciable émanant de l’État affecté.

L’île de Cuba devient indépendante de l’Espagne en 1898. En 1959, la dictature de Fulgencio Batista est renversée par la guérilla menée par Fidel Castro avec l’aide de la population. La nationalisation des terrains agricoles des entreprises américaines provoqua en 1961 la tentative de débarquement à la baie des cochons qui se voua par un échec. Suivront le rapprochement de l’URSS et la crise des missiles qui mèneront les États-Unis à imposer un embargo sur l’île en 1962, sous prétexte d’atteinte à la liberté de conscience et aux droits de l’homme.

Les soviétiques ont participé activement au commerce extérieur de l’île (cuba exportait sucre et nickel en échange de carburant et de biens de consommation). Aussi, par l’intermédiaire de sociétés mixtes d’autres pays investissent dans le  secteur du tourisme et des services de Cuba, en l’occurrence l’Espagne, la France, l’Italie, le Canada et d’autres pays non alignés, sans avoir à se préoccuper des entreprises américaines, bloquées par l’embargo. L’impossibilité d’échanger des biens avec un grand nombre de pays, a considérablement affaibli Cuba, mais la chute de l’Union Soviétique en 1991 brisera sévèrement l’économie cubaine.

A partir de 2005, la Russie reprend les relations avec Cuba et en 2013 annule 90% des 38,7 milliards de dollars que devait l’île à l’URSS. Le président américain Obama réduit à son tour certaines restrictions de voyage des américains vers Cuba dès son entrée à la Maison Blanche en 2009, leur permettant de s’y rendre une fois par an, au lieu d’une fois tous les trois ans et de dépenser chaque jour jusqu’à 179 dollars, contre 50 dollars préalablement. En 2011, la valeur des échanges entre la Russie et Cuba représentait 224 milliards de dollar, un chiffre toutefois bien loin des trois principaux partenaires de l’île, le Venezuela, la Chine et l’Espagne.

Depuis une quinzaine d’années Cuba reprend ainsi des relations avec différents pays malgré le blocus américain. Le régime communiste commence à fléchir, suite à la maladie de Fidel Castro et la libéralisation progressive du marché cubain, menée par son frère Raul. La position de l’ONU sur l’embargo n’a pas changée depuis 1981. En fait, pour la 23ème fois consécutive, la majorité (188 en 2014) des 193 pays membres ont voté en 2014 pour une condamnation de l’embargo américain sur Cuba. Les deux pays s’y opposant sont les États-Unis et Israël et ceux s’abstenant sont trois îles, dépendant fortement d’une assistance économique des États-Unis.

Que va changer cette action récente du président Obama ?

cuba mummyHormis une portée médiatique importante, cette levée du blocus ne sera appliquée que si le Congrès américain   accepte la décision. Force est de constater que le président Obama n’a pas une grande influence sur un Congrès majoritairement républicain depuis les élections de mi-mandat en 2014.

L’annonce a été saluée par l’opinion internationale suite à la libération d’Alan Gross et l’installation d’une prochaine ambassade américaine à la Havane. Un grand nombre d’entreprises américaines et internationales n’attendent qu’à pénétrer un marché de 11 millions d’habitants. Mais il reste encore à convaincre les exilés anti-castristes et leurs descendants, aujourd’hui bien intégrés dans la haute société américaine.

Cette idée de rapprochement de la part du Président américain est toutefois encourageante, notamment en observant la dynamique du gouvernement cubain. Lors du Sommet Patronal des Amériques (Cumbre Empresarial de las Américas, du 8 au 10 avril 2015), le Ministre du Commerce Extérieur cubain Rodrigo Malmierca, a annoncé la mise en place de 246 projets dans 11 secteurs différents pouvant générer 8,7 milliards de dollars américains, notamment dans le secteur énergétique et agroalimentaire. Pour Rodrigo Malmierca « L’investissement étranger est une part fondamentale du développement de l’île et un facteur indispensable à la croissance de certains secteurs. 2,5 milliards de dollars américains par an seraient nécessaires pour stimuler l’activité économique de Cuba », objectif qu’il considère difficile à atteindre dans le court terme.

En termes de qualité de vie, rappelons qu’il fait bon vivre à Cuba. Selon le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), Cuba est le 2ème pays avec le taux d’alphabétisation le plus haut au monde avec 99.9%, derrière la Géorgie. L’espérance de vie est de 79 ans (82 ans en France et 78 ans aux États-Unis) et sur 11,2 millions d’habitants, le pays compte 1600 personnes de plus de 100 ans, proportionnellement cinq fois plus qu’au Japon. En matière de médecine, le pays compte 13 facultés de médecine entièrement gratuites, 152 hôpitaux et 451 polycliniques. Aussi, le gouvernement aide les pays sous développés en proposant de former leurs médecins gratuitement à l’École Latino-américaine de Médecine de La Havane (ELAM), inaugurée en 1999. Il faut cependant tenir compte de la forte dépendance au secteur touristique, des envois de fonds de la diaspora cubaine, de l’exportation de matières premières et de la vente de services médicaux et professionnels à l’étranger.

Investir à Cuba

Voulant diminuer la dépendance aux importations et « actualiser » leur modèle socialiste, le Parti Communiste Cubain a lancé en 2014 la nouvelle loi No. 118 sur les investissements étrangers, ouvrant l’accès aux secteurs économiques cubains à l’exception des secteurs de la santé, éducation, média et armée. Le Gouvernement favorise cependant les IDE pouvant apporter une modernisation du mode de vie des cubains, apporter une technologie avancée dans les infrastructures, l’aménagement de l’eau, etc.

secteurs cubaLe projet de port et de zone franche de Mariel, zone de Wajav et Havana in Bond, serviront à attirer les entreprises, qui bénéficieront d’exonération de l’impôt sur les bénéfices, des droits de douanes, de taxes sur la main d’œuvre et d’autres taxes annexes sur toutes les marchandises importées sur ces zones. Cette taxation est valide pendant 12 ans, puis l’entreprise est imposée à 50% pendant les 5 années suivantes.

(IDE par secteur en pourcentage en 2013 source : Ministère du Commerce Extérieur et des investissements de Cuba)

Rappelons toutefois que le Gouvernement cubain est le seul et unique régulateur de l’économie cubaine, très centralisée. L’État doit de ce fait être considéré comme un partenaire commercial dans la plus part des cas. Le risque politique reste élevé selon les agences de notation et d’assurances prospection. Aussi, les investissements ne peuvent rentrer dans le pays sans autorisation préalable de l’État. La plupart des stratégies d’implantation se font sous forme de joint-ventures avec les entreprises d’État cubaines (51% d’entreprises mixtes, avec l’État comme actionnaire majoritaire). Des pays comme l’Espagne, le Canada, le Venezuela, l’Italie, la Russie ou la France sont assez présents sous cette forme de structure. La Chine et le Venezuela sont les partenaires les plus importants, l’Espagne aussi, en troisième position.

Il y a ensuite les contrats d’association économique internationale (12%), comme les contrats de prestation de services professionnels, les contrats à risque de prospection et exploitation de ressources naturelles non renouvelables, des contrats de construction et de production agricole. Les contrats d’administration hôtelière dont l’Espagne est leader avec 60 contrats, représente 28% des stratégies d’implantation étrangères, les contrats d’administration productive 4%, et les entreprises à capital étranger majoritaire 4%.

Les secteurs à fort potentiel

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Ce secteur est le plus développé de l’île. Si les entrées nord américaines purement touristiques sont encore interdites, le gouvernement prévoit de dynamiser la capacité hôtelière de Cuba. Selon le Ministre du Tourisme Manuel Marrero, l’ouverture de la nouvelle ligne aérienne Madrid-La Havane en juin 2015 devrait ramener entre 25 000 et 30 000 visiteurs européens de plus par an. Selon les données du Ministère du Commerce extérieur, 2,8 millions de visiteurs sont venus passer des vacances à Cuba en 2013, avec une consommation moyenne de 100 USD par jour par personne. Les contrats d’administration hôtelière sont très répandus à Cuba, cela permet aux cubains de profiter des méthodes de gestion et d’administration étrangères sans devoir se séparer du bâtiment utilisé comme hôtel.

L’île est membre de l’Organisation Mondiale du Tourisme, de l’Organisation de Tourisme Caribéen (CTO) et de la Confédération Panaméricaine des écoles d’hôtellerie et Tourisme (CONPEHT). A titre informatif, la 35ème édition du Salon international du Tourisme de Cuba (FITCUBA) ouvrira ses portes du 5 au 7 mai 2015 sur l’île Cayo Coco et le thème de cette année est l’Italie.

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[toggle_item title= »Énergie et exploitation minière » active= »true »]

 L’île possède des gisements pouvant remplir 6000 millions de barils de pétrole, la plupart des 100 000 km² de la surface de Cuba est disponible pour la prospection de nouveaux gisements, ainsi que les zones maritimes appartenant au Gouvernement. La production cubaine de pétrole et gaz représente 4 millions de tonnes par an (25 millions de barils), dont 3 millions de tonnes de pétrole (19 millions de barils) et 1100 mètres cubes de gaz naturel par an. Cuba vise également à intégrer l’énergie solaire, éolienne et hydroélectrique dans son portefeuille énergétique. Seulement 4.3% de l’énergie cubaine est obtenue à partir de sources renouvelables et une des priorités du Gouvernement est d’augmenter ce chiffre. La politique sectorielle de l’État est de promouvoir des projets de création, amplification et modernisation des capacités de production d’hydrocarbures de l’île.

De plus, l’archipel possède une grande diversité de matières premières métalliques, roches et minéraux. La proximité à la surface terrestre des gisements de minéraux est un sérieux avantage, cela permet une exploration à ciel ouvert et moins onéreuse que l’exploration souterraine. Le Gouvernement promeut aussi ce secteur en proposant des projets, listés dans le dossier « Cartera de oportunidades 2014 » disponibles en espagnol et en anglais sur le site www.granma.cu.

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[toggle_item title= »L’industrie et l’agriculture » active= »true »]

Avec plus de 205 entreprises implantées dans tout le territoire, l’industrie emploie 86 284 personnes. Le Gouvernement projette de moderniser l’industrie sidérurgique, les aciéries, l’industrie lourde et pétrochimique, l’électronique, l’électroménager, la production d’emballage (aluminium et verre), améliorer la qualité de gestion, de conception et de production de structures métalliques, la gestion des déchets et la production de biens destinés à la grande consommation.

Près d’un tiers de la superficie totale des terres de l’île est très fertile et cultivable, parfait pour la production de sucre, de tabac, et une grande variété de cultures fruitières. Le pays compte 6,3 millions d’hectares de terre agricole dont 2,645 millions sont en culture. L’État reste le propriétaire majoritaire des terres cultivables de l’île (78%), mais ce n’est que 29,4% de ces terres qui sont gérées par des entités appartenant à l’État. Le reste (70,6%) est géré par des coopératives. Ensuite, 7% des terres de l’île sont détenues et gérées par des coopératives et 15% par des petits agriculteurs.

Le Gouvernement cubain veut promouvoir des projets qui permettraient d’augmenter la production d’aliments et favoriser le développement durable, dans le but de substituer les importations d’aliments et augmenter les exportations. Pour cela, il est nécessaire d’accroître l’efficience, la qualité et la compétitivité des modes de gestion utilisés dans la production. Les investissements étrangers seraient dirigés essentiellement vers la production de fruits, légumes, céréales, dans l’élevage de bétail, porcs, volaille et dans des projets d’exploitation forestière à but commercial.

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[toggle_item title= »Le commerce de gros » active= »true »]

En 2014, le Ministère du Commerce Extérieur et des Investissements compte 2000 entités engagées dans le commerce de gros à Cuba. Mais l’infrastructure du secteur est très précaire et insuffisante, le pays a besoin d’investissements pour assurer l’accès aux nouvelles technologies, afin de faciliter la distribution. Les projets de ce secteur visent à assurer principalement la distribution de produits à usage répandu et aux produits nationaux et importés les plus consommés dans le pays. L’objectif étant de fournir un approvisionnement stable, efficace et minimiser les coûts logistiques élevés que génère cette activité. Développer le commerce de gros à travers des méthodes de gestion avancées et des nouvelles technologies est un des besoins principaux de l’île. Pour cela, Cuba propose aux investisseurs étrangers des modalités d’implantation sous forme de joint-ventures ou de contrats d’association économique internationale, avec l’État ayant une participation majoritaire.

Les cinquante-années d’embargo économique ont considérablement affaibli l’économie cubaine, cependant le pays a réussit à préserver ses principales richesses et à maintenir des relations économiques avec des pays étrangers. La levée de cette épée de Damoclès va avoir des conséquences radicales sur le développement de l’île pour les prochaines années. Si cette ouverture au commerce extérieur va engendrer des externalités positives, il faut garder à l’esprit les externalités négatives que peut créer une croissance sauvage et une industrialisation accélérée du territoire.

Le développement de Cuba doit s’inscrire dans l’ère du temps, en tenant compte des défis environnementaux et en limitant le creusement des inégalités sociales.

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Sources: New York Times, America Economia, Cubasi.cu, Forbes, Granma.cu, En.Granma.cu

L’équipe ADEC-NS

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Article rédigé par l'équipe de l'ADEC-NS