L’agriculture familiale, plus rationnelle et plus responsable ?
Agriculture biologique, agriculture de proximité, agro-écologie, agriculture familiale… des modèles soucieux de valeurs humaines et environnementales, allons nous vers une substitution de l’agriculture ultra productiviste ?
Selon les projections de l’INSEE, nous serons près de 10 milliards de personnes sur notre planète en 2050. Avec une demande alimentaire qui augmente et une croissance démographique non maîtrisée qui repousse les limites de la ville dans les pays en développement, les questions concernant l’impact de notre activité sur l’environnement et sur les différentes manières de nourrir notre planète se posent forcément. De plus il est à rappeler qu’1 personne sur 8 souffre de la faim.Comment trouver un moyen de nourrir les populations en même temps et protéger la planète ?
Deux modèles d’exploitation prédominent dans le monde, l’agriculture intensive (de plus en plus rentable, moderne et mécanisée) et l’agriculture familiale, à taille humaine et qui se veut plus respectueuse de la biodiversité.
L'agriculture intensive en Europe
Depuis la fin des années 1940, l’agriculture intensive a servi à nourrir les pays ravagés par les conflits. Avec des rendements importants grâce aux nouvelles technologies en matière d’irrigation et l’application d’intrants, cette « révolution verte » a permis de sauver la vie de millions de personnes, de même que de mettre en place une autosuffisance alimentaire puis une politique d’exportation de produits alimentaires.
Dans la mesure où les herbicides représentent une alternative aux rotations de culture pour limiter les mauvaises herbes, l’agriculture industrielle qui s’appuie sur la monoculture à grande échelle a permis une augmentation consistante des rendements et une chute des prix alimentaires.
En effet, gérer une ferme de grande taille permet d’effectuer des économies d’échelle et donc avoir une activité plus rentable, tandis que la prolifération de structures plus petites, à fort nombre, pourrait créer plus d’emplois. Par exemple, la France a vu diminuer le nombre d’éleveurs de vaches laitières de 58% de 1993 à 2013, alors que la production de lait progressait de 5%.
Aujourd’hui les exigences sont différentes, des systèmes plus résilients sont nécessaires, sobres en énergie, avec des chaînes d’approvisionnement plus courtes, une production plus diversifiée, comme l’agriculture urbaine ou rurale intensive en main-d’oeuvre et en connaissance. Les différents rapports scientifiques et organismes internationaux peuvent avoir de différentes conclusions, le défi pour l’agriculture intensive est de nourrir la population de manière durable et non pour en faire du profit au détriment de la biodiversité de la planète et de la santé du consommateur.
De nombreux rapports scientifiques (FAO) démontrent aujourd’hui avec plus de précision que ces méthodes d’exploitation ont des impacts négatifs pour l’environnement : les écosystèmes sont surexploités et les objectifs de lutte contre la faim ne sont pas atteints.
Même si la tendance de manger « mieux » et respecter l’environnement prédomine, l’agriculture intensive est pour l’instant difficile à remplacer. Cette structure d’exploitation qui vise à maximiser le rendement avec un minimum de main d’œuvre semble nécessaire, notamment après la crise alimentaire mondiale de 2007.
Ainsi, avec un prix du foncier élevé, l’augmentation du coût de l’énergie, la modernisation des techniques de production et de récolte, un accès au crédit de plus en plus difficile, une forte concurrence et en Europe, des aides de la Politique Agricole Commune très liées à la taille de l’exploitation, les exploitations familiales peinent à garder leur parts du marché.
Pourtant en 2014, l’ONU a mis à l’honneur l’agriculture familiale en lui consacrant une année. Le Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt a choisi de promouvoir cette décision afin de encourager son développement. Mais en quoi consiste cette structure d’exploitation familiale ?
Qu'est-ce que l'agriculture familiale ?
L’agriculture familiale englobe toute activité agricole reposant sur la participation active des membres d’une même famille. Avec une gestion et main d’œuvre essentiellement familiale, ce mode de culture est la principale forme d’agriculture dans le secteur de la production alimentaire, que ce soit dans les pays en développement ou dans les pays les plus industrialisés. Près de 80% des aliments dans le monde sont produits sous cette forme de structure d’exploitation qui emploie 40% de la population active, soit le premier pourvoyeur d’emplois dans le monde.
Le but premier est de répondre aux besoins de subsistance de la famille, pour cela les agriculteurs produisent eux même la nourriture et peuvent vendre leurs excédents pour réinvestir dans leur exploitation et améliorer leur rendement. Les membres innovent et façonnent des systèmes de production adaptés à leur environnement en s’inspirant des écosystèmes existants, créant ainsi une dynamique de nouvelles méthodes de culture, investissant à long terme pour garantir la longévité de leur entreprise et transmettre un savoir faire à la descendance.
Cependant, certaines entraves existent au développement de l’agriculture familiale. Près de 70% des populations victimes d’insécurité alimentaire vivent dans les zones rurales des PED et c’est le manque d’un cadre politique approprié et efficace qui freine le développement de l’activité des agriculteurs. Les organisations internationales, institutions de recherche et autres ONG ont aussi un rôle essentiel en soutenant la création d’un environnement propice à ce mode d’exploitation.
Aujourd’hui représentant 2,6 milliards de personnes et 500 millions d’exploitations, l’agriculture familiale se retrouve souvent sous la forme de petites exploitations dans les pays en développement. Ce modèle d’agriculture n’a jamais disparu d’Europe; s’il prédominait avant la Seconde Guerre Mondiale, et s’il a beaucoup évolué vers l’agriculture intensive à partir des années 50 afin d’alimenter un continent ayant besoin de nourriture, il se retrouve encore de nos jours sous différentes variantes : grandes ou plus petites exploitations, utilisation ou non d’intrants, etc.
L'agriculture familiale en Europe
Quelques chiffres sur l’agriculture familiale européenne :
- 97% des exploitations agricoles européennes sont actuellement aux mains d’une seule personne physique et peuvent être considérées comme des exploitations familiales.
- Elles couvrent 69% des terres agricoles de l’UE.
- Leur taille moyenne est de 10 hectares, une superficie relativement petite en comparaison aux exploitations constituées en société qui sont en moyenne 15 fois plus grande (152 ha).
- Moins de 5% de la population active travaille dans le secteur agricole alors que les surfaces cultivées sont en constante augmentation
La grande majorité des exploitations agricoles sont familiales mais la plupart d’entre elles, contrairement aux exploitations dans les pays en développement, utilise des méthodes pratiquées par l’agrobusiness (produits chimiques, monocultures, marchés internationaux). D’autres privilégient des pratiques plus douces.
Ce renouveau de l’agriculture familiale est principalement dû aux durs effets de la crise de la fin des années 2000 et à un retour aux valeurs traditionnelles.
Ainsi, en Grèce, la crise de 2008, l’application des premiers plans d’austérité en 2010, le taux de chômage chez les jeunes de moins de 25 ans (de 31% à 55% entre 2010 et 2014) a forcé la population active du pays, principalement des jeunes fuyant la misère de la ville, à retrouver les terres de leurs anciens et les exploiter.
Un des secteurs qui s’en sort le plus est l’agriculture, l’échange travail de récolte « contre » nourriture est de plus en plus utilisé dans ce pays. Mais le phénomène le plus marquant reste l’exode urbain des jeunes diplômés. Formés mais au chômage, cette génération se lance dans l’agriculture, rejoignant leur ascendants qui ont souvent gardé le patrimoine familial en milieu rural.
Aujourd’hui ce phénomène est présent dans l’ensemble de la Grèce et la rencontre entre différentes générations, jeunes diplômés et parents expérimentés, permet une exploitation modernisée tout en gardant l’aspect traditionnel tant convoité par le consommateur. Leurs produits à haute valeur ajoutée sont commercialisés à travers des circuits courts, mettant en valeur l’origine, les méthodes de récolte et de transformation du produit (huile d’olive, miel…).
Ce mouvement pour l’agriculture familiale est une façon d’alerter la population qu’il existe peut être une alternative à l’agriculture intensive. Les interrogations actuelles sont les suivantes : les politiques agricoles, la prise de position des gouvernements ou les nouvelles technologies sont-elles toutes vraiment destinées à promouvoir une agriculture plus responsable ? Quelles sont les actions plus efficaces que d’autres ? Quel est le futur de l’agriculture ?
Sources: Oxfam International, AFD, FAO, Réseau Européen du Développement Rural, INRA, INSEE, France Culture
L’équipe ADEC-NS